avec un couple un peu spécial...!
Nous sommes en Allemagne
en 1940
au stalag XII de Trèves .
Paul Feller , jésuite ,
prisonnier de ce camp ,
se lie d' amitié avec
Jean-Paul Sartre .
Il lui demande d' écrire
une pièce sur la Nativité
qui serait jouée
avec tous
le soir de Noël
Sartre , l' athée , accepte ...!
Voici ce qu' il a écrit :
" Vous avez le droit d' exiger qu' on vous montre la Crèche . La voici .
Voici la Vierge , voici Joseph , et voici l' enfant Jésus .
L' artiste a mis tout son amour dans ce dessin ,
vous le trouverez peut-être naïf , mais écoutez .
Vous n' avez qu' à fermer les yeux pour m' entendre
et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi .
La Vierge est pâle et elle regarde l' enfant .
Ce qu' il faudrait peindre sur son visage , c' est un émerveillement anxieux
qui n' apparut qu' une seule fois sur une figure humaine ,
car le christ est son enfant ,
la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles .
Elle l' a porté neuf mois .
Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu .
Elle le serre dans ses bras et elle dit : " mon petit " !
Mais à d' autres moments , elle demeure interdite et elle pense :
" Dieu est là "
et elle se sent prise d' une crainte religieuse
pour ce Dieu muet , pour cet enfant
parce que toutes les mères sont ainsi arrêtées par moment ,
par ce fragment de leur chair qu' est leur enfant ,
et elles se sentent en exil
devant cette vie neuve qu' on a faite avec leur vie
et qu' habitent les pensées étrangères .
Mais aucun
n' a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère ,
car il est Dieu et dépasse de tous côtés ce qu' elle peut imaginer
Et c' est une rude épreuve pour une mère d' avoir crainte de soi
et de sa condition humaine devant son fils .
Mais je pense qu' il y a d' autres moments rapides et glissants
où elle sent à la fois
que le Christ est son fils , son petit à elle et qu' il est Dieu .
Elle le regarde et elle pense :
" Ce Dieu est mon enfant ! Cette chair divine est ma chair ,
il est fait de moi , il a mes yeux et cette forme de bouche ,
c' est la forme de la mienne .
Il me ressemble , il est Dieu et il me ressemble...!!
Et aucune femme n' a eu de la sorte son Dieu pour elle seule .
Un Dieu tout petit
qu' on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers ,
un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire ,
un Dieu qu' on peut toucher et qui vit ,
et c' est dans ces moments là que je peindrais Marie si j' étais peintre
et j' essayerais de rendre l' air de hardiesse tendre
et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce
petite peau de cet enfant Dieu dont elle sent sur ses genoux
le poids tiède et qui sourit...
Et Joseph ? Je ne le peindrais pas .
Je ne montrerais qu' une ombre au fond de la grange
car je ne sais que dire de Joseph . Et Joseph ne sais que dire de lui-même
Il adore et il est heureux d' adorer . Il se sent un peu en exil .
Je crois qu' il souffre sans se l' avouer . Il souffre
parce qu'il voit combien la femme qu' il aime ressemble à Dieu .
Car Dieu est venu dans l' intimité de cette famille .
Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté ,
et toute la vie de Joseph , j' imagine , sera d' apprendre à accepter .
Joseph ne sait que dire de lui-même :
Il adore et il est heureux d' adorer..."
Jean Paul Sartre
- Bariona ou le Fils du tonnerre -
Dans la Paix de cette nuit des prisonniers pleuraient...
Ce soir de Noël 1940
Paul Feller
a joué le rôle de Bariona
le chef des juifs dressés
contre les romains .
Sartre , lui ,
a joué le personnage
du roi mage noir
Baltazar ...!!
À vous tous qui êtes là ce soir ,
que vous soyez croyants ou incroyants je souhaite un
" JOYEUX NOËL..."
C' est si beau de croire à l' Amour...:-))